L’étape de prévention d’une crise se divise en 4 parties : la présence, la veille, la préparation et le monitoring.
1. La présence
Pour prévenir une crise, il faut faire acte de présence.
Pour éviter d’une part, qu’à la saisie du nom de la marque, des commentaires négatifs n’apparaissent ostensiblement, et d’autre part pour que le public, en quête d’informations sur l’entreprise, arrive sur les plateformes propres à l’entreprise où il pourra satisfaire sa curiosité et éventuellement échanger des informations.
Les entreprises qui avaient assuré une présence forte sur Internet ont eu une propension à mieux résister à la crise.
Sur des plateformes qui leur appartiennent, elles peuvent en effet, répondre facilement et directement à un grand nombre de personnes sans faire appel à un média tiers.
Cette caractéristique est très importante, car elle permet de faciliter la veille : il vaut mieux avoir les plaintes, commentaires négatifs et autres sur ses propres espaces pour y répondre et agir que d’avoir à retrouver ceux-ci disséminés sur différentes plateformes où le potentiel d’action est très faible.
Toutefois, la présence ne doit pas s’exercer que sur des territoires qui appartiennent à l’entreprise (Site Web, page Facebook, etc.), mais également occuper d’autres territoires. (Blog d’internautes, Wikipedia, YouTube, forums, etc.)
Enfin, chaque présence doit être propre à l’entreprise : l’entreprise ne doit avoir un compte Facebook pour la seule raison qu’il faut être sur Facebook. ( et dieu sait que cette règle de bon sens est en pleine perdition)
Chaque entreprise doit réfléchir à la manière qui lui est propre d’assurer sa présence en fonction des disponibilités de temps et d’argent et en fonction des publics (nombre et intérêt) de l’entreprise.
Il faut aussi que lorsqu’on assure une présence sur un territoire, celle-ci soit constante. Ainsi, j’ai croisé un cas qui illustre parfaitement ce qu’il ne faut pas faire sous peine d’avoir de grosses conséquences :
Case Studies :
Kwak : La marque de bière attaque en justice la bière wallonne « Corne du bois des pendus », lui reprochant des similarités au niveau du design des verres. Les propriétaires de la bière wallonne vont alors se tourner vers les médias pour faire un appel aux dons, car ils ne savent plus assurer les coûts juridiques. Les similarités n’étant pas évidentes, un bad buzz commence et des commentaires très négatifs sont postés sur la page Facebook de la marque. Pendant plus de 3 mois, les commentaires restent accessibles aux 10385 fans de la bière Kwak. En fin de compte, Kwak a également perdu le procès.
2. La veille
Afin de se préparer aux signaux faibles et réagir dans les temps, il est indispensable de mettre en place une veille stratégique. Celle-ci permet d’agir préventivement plutôt que devant le fait accompli. La veille est définie par l’AFNOR (Association Française de Normalisation) comme une « activité continue en grande partie itérative visant à une surveillance active de l’environnement technologique, commercial, … pour en anticiper les évolutions. » La classification habituelle des typologies de veille est la suivante :
- La veille d’image : consiste à observer la façon dont l’image de la marque est véhiculée par la marque (image voulue) et par le public (image perçue).
- La veille concurrentielle : consiste à observer l’évolution des concurrents sur l’ensemble de ses stratégies et politiques (prix, recrutement, choix des fournisseurs, communication, marketing, etc.)
- La veille marketing : consiste à observer les informations relatives aux 4 Ps (produit, place, price, promotion), mais aussi les attentes des consommateurs.
- La veille juridique : consiste à surveiller les nouveaux éléments juridiques : projets de loi, nouvelle loi en application, les nouvelles normes, etc.
- La veille technologique : consiste à surveiller les évolutions technologiques (nouveaux brevets, nouveaux outils, etc.)
- La veille d’opinion : consiste à surveiller les opinions des consommateurs dans le but d’établir les tendances, besoins ou critiques de ceux-ci.
- La veille commerciale : consiste à surveiller les informations qui sont relatives à la politique commerciale (informations sur les clients, les fournisseurs, les distributeurs, etc.)
- La veille sociétale : consiste à observer les évolutions de la société : culturelles, sociales, économiques, politiques, etc.
Lors de mes observations, j’ai pu remarquer qu’on utilise parfois uniquement la veille d’image pour ce qui a trait à l’e-réputation. Pourtant, il existe un certain nombre de cas qui prouvent que cette veille doit être multidisciplinaire :
Case Studies :
Concurrence : Free lance son offre mobile en janvier 2012 avec des tarifs nettement réduits par rapport à ce que proposaient les opérateurs téléphoniques historiques.
Actualité : ignorant le drame de la fusillade Aurora, le community manager de Celeb Boutique se réjouit de voir le hashtag #Aurora en trending topic, pensant que la robe du même nom rencontre un grand succès.
Selon mes observations des crises, il est important que les veilles s’effectuent sur des plateformes comme YouTube, Flickrs ou autres plateformes d’image. L’image est, en effet, très importante, car nous sommes dans une société de l’image.
En fonction de la taille de l’entreprise, cette veille peut être internalisée ou externalisée. Une petite entreprise n’aura pas forcément les ressources humaines et financières pour assurer ce service elle-même. Il lui sera dans ce cas plus indiqué de faire appel à un prestataire de service. Camille Alloing réalise une mise à jour quotidienne des entreprises en e-réputation
A contrario, les grandes entreprises ont plus d’intérêt à assurer leur veille elles-mêmes afin que les personnes responsables soient au cœur des processus de l’entreprise, et qu’en cas de crise, l’information remonte rapidement afin d’obtenir une réponse tout aussi rapide.
3. La préparation
Il s’agit ici de faire un véritable audit de l’entreprise afin de définir la gestion de risque. Pour ce faire, j’ai voulu chercher une véritable grille d’évaluation : je me suis donc basé sur une analyse de risque enseignée aux spécialistes de la sécurité dans les musées (faite par Belinsoc, Belgium Institute for security et rédigée en 2009) en l’adaptant largement à la problématique qui nous intéresse. Celle-ci se découpe en 4 processus :
- Evaluation des valeurs, de l’historique et du capital réputationnel
L’historique des crises : quelles sont les crises que l’entreprise a traversées? Quelles ont été les actions que l’entreprise a mises en œuvre pour y remédier? Cette analyse de l’historique des crises est importante, car si l’entreprise traverse sa première crise, son capital confiance auprès du public sera bien plus élevé. A l’inverse, si une crise qui a déjà eu lieu se reproduit, il faudra voir ce que l’entreprise a fait pour y remédier afin de ne pas proposer des solutions qui ont échoué par le passé, dans la mesure où le capital confiance de l’entreprise auprès du public sera beaucoup moins grand.
Le capital réputationnel : quel est le capital réputationnel de la marque ? Cela a une incidence sur la capacité de l’entreprise à se sortir d’une crise. En effet, avec un capital réputationnel, il sera plus facile de faire jouer l’argument de la faute humaine ou de la victimisation. Si le capital réputation est faible, ces voies seront à éviter absolument sous peine de nourrir plus profondément la crise.
Les valeurs de la marque : Quelles sont les valeurs de la marque? Une marque humaine? Une marque innovante? Certaines valeurs de marque sont des biens essentiels pour développer ses produits ou services. Il faut donc les définir pour orienter la veille de façon appropriée.
- Identification des menaces
J’ai classé les menaces en 5 catégories :
- Les risques par faiblesse ou négligence : typiquement le cas de la crise communicationnelle ou fonctionnelle.
- Les risques venants de faits intentionnels : les crises qui proviennent de l’extérieur. On est typiquement dans le cas de la crise qui provient de stakeholders externes. Il s’agira ici de coupler cette identification des menaces à une identification des motivations et des agressions. On dénombre aussi : le cybersquatting, l’usurpation d’identité, le détournement de logo, le détournement de marque, la contrefaçon de marque, l’avis négatif, la diffusion de fausses informations, le référencement négatif et le dénigrement.
- Risques auprès des tiers : tout fait qui pourrait déclencher une crise aux yeux du public. Ici, cela regroupe tous les types de crise.
- Risques naturels : ce sont les risques qui peuvent mener à une crise accidentelle.
- Risques techniques : ce sont tous les risques qui peuvent mener à un problème technique comme le cybersquatting, le hacking ou des défaillances internes.
- Identifications des publics et de leurs motivations
Il s’agit à cette étape du processus d’identifier les publics qui seraient intéressants soit à surveiller ou à transformer en alliés. À cet effet, la matrice réalisée par Emmanuel Bloch[1] selon les dimensions d’influence et de favorable est intéressante pour classer les différents publics en présence. Il s’agira donc de faire alliance avec les influents favorables en les contactant au préalable, en les informant en primeur ou tout autre contact qui permet d’en faire des alliés.
Quant aux influents défavorables, Emmanuel Bloch préconise deux stratégies : la stratégie de la conversion et la stratégie de l’isolement.
4. Evaluation des risques
Il faut pour cela créer sa propre méthode qui pourrait être celle de la méthode de Kinney ou autres. L’important est de préparer l’ensemble des risques dans le but de prévoir sa gestion de crise.
Dans mon mémoire, j’ai developpé cette méthode plus longuemment mais j’ai choisi de ne pas le faire ici car j’estime n’avoir pas assez étudier toutes les possibilités et parce que celle-ci peut s’avèrer complexe.
Les critiques de cette méthode s’orientent sur le fait qu’elle est trop subjective. Dans notre cas de crise 2.0, peu importe la susceptibilité dans la mesure où cette analyse est faite pour hiérarchiser les risques et déterminer ceux qu’il faut absolument prendre en compte.
Le monitoring
Une fois que la présence est assurée sur les territoires que la marque a identifiés comme les siens, que la veille est en place et que l’entreprise a prévu et a défini les différents risques, il faut faire une action de monitoring.
Une fois une information captée dans la veille, il faut évaluer cette information. A ce titre, on peut par exemple utiliser une déclinaison de la méthode de Kinney en qualifiant l’événement selon deux dimensions:
La gravité du risque
- Risques acceptables : E
- Risques possibles nécessitant une attention : D
- Risques nécessitant des mesures : C
- Risque important qu’il faut remédier : B
- Crise : A
A laquelle, on pourrait ajouter une subdivision de degré:
- Faible : 1
- Moderé : 2
- Elevé : 3
Il faut ensuite définir qui est responsable de chaque crise. Pour ce faire, il faut définir l’organigramme de cellule de crise qui est parfaitement illustrée dans le livre d’Emmanuel Bloch , que je recommande car il s’agit selon moi d’un ouvrage de réference.

La cellule de veille capte et évalue le risque. En fonction du niveau de risque développé ci-dessus, il transmet l’information aux acteurs concernés.
Ainsi, on peut imaginer qu’un simple message de critique sur un forum peut être géré directement par le community manager.
A l’inverse, une vidéo critique sur YouTube doit être transmise au directeur de la communication, qui dispatchera les tâches à faire en fonction de sa décision.
De même en cas de crise, le directeur de communication convoquera la cellule de crise afin d’établir une décision et une réponse qui passera par le service de community management ou le service de relations extérieures et médias.
Il est également important de garder des traces de l’ensemble de ces alertes pour définir si un risque devient de plus en plus répétitif , cerner les tendances actuelles, et réevaluer son processus de crise.
Bloch, Emmanuel. Communication de crise et médias sociaux, p .92 Dunod, Paris, 2012.
Bloch, Emmanuel. Communication de crise et médias sociaux. Paris: Dunod, 2012. 92. Print.