Il est récemment arrivé un cas qui pour moi est le cas parfait, celui peut me permettre de vous expliquer beaucoup de choses et de préfacer tous les prochains articles théoriques du lundi à venir qui porteront sur la crise.
En effet, les différentes phases y sont clairement définies et pédagogiquement, cela permettra d’exposer clairement le processus qui mène à avoir une crise / un “bad buzz”.
Bank of America
Ce cas, c’est celui de Bank of America que j’ai pu lire sur le blog du communicant 2.0.
Cela commence avec une simple personne qui se fait virer pour avoir fait des tags devant l’immeuble de la banque. Celui-ci lance alors un tweet rageur :
Jusque-là , tout est normal. Ce n’est pas une crise , ce n’est pas un bad buzz. C’est la police qui l’a délogé et qu’importe la visibilité de 2000 followers que cet utilisateur a puisque son acte était hors-la-loi et que les normes sont très importantes dans la création d’une crise. Ca n’est donc pas cela le problème. Le problème survient ensuite, jugez plutôt:
Vous pouvez vous amuser à regarder l’ensemble des tweets en question: https://twitter.com/darthmarkh/status/353602262410620929
On réagit par rapport à la robotique et le ras-le-bol par rapport à celui-ci. Cette tendance est de plus en plus présente : on peut automatiser ses anniversaires sur Facebook ( si si , vous ne rêvez pas, le bétailbirthday existe ) , on automatise toutes les prises de paroles sur 189 réseaux sociaux , on crée des pins/tweet bioniques pour susciter l’engagement : bref, on ne comprend plus rien à ce qui fait la base des réseaux sociaux : le dialogue et l’humanisation.
Fermons la parenthèse pour dire que ca n’est qu’à partir de ce moment-là que la mini crise pour la Bank of America commence. Ca n’est donc pas le tweet de départ qui lance la crise, c’est un événement d’après, ce que j’appelle le “Trigger”. (la gâchette)
Comment est-ce qu’une crise de type fonctionnelle commence?
Ce schéma ne vaut pas pour tous les types de crise. Il s’agit des crises que j’appelle fonctionnelles ( je vous montrerai ceux-ci lundi dans la typologie des crises) . Je montrerai également un schéma plus théorique et pour tous les types de crises dans mes prochains articles du lundi !
1. Tout démarre d’un produit ou un service d’une entreprise. Celui-ci pose problème pour une raison X. Maintenant tout mécontentement, problème ou autre ne fait pas l’objet d’une crise. La preuve? Tous les jours , une marque que vous suivez subit un commentaire négatif. Pourtant cela n’en fait pas une crise ou un bad buzz. Alors qu’est-ce qui en fait ? Tout d’abord, ce produit ou service est critiqué, mais vous ne le voyez peut-être même pas. C’est peut-être uniquement dans l’esprit des consommateurs, peut-être que c’est dit mais pas en ligne, bref on dit que ” c’est dans l’air”.
Pourquoi est-ce que cela ne passe pas ? Pourquoi est-ce que personne ne le dit ostensiblement? C’est une variante de l’ “effet témoin” ou “bystander effect” . Cet effet est sans cesse illustré avec le meurtre et viol de Kitty Genovese sans qu’aucun témoin n’ait bougé. En fait, plus il y a de personnes témoins moins il y a de chance qu’un de ces témoins fasse quelque chose.
Vous avez également tous connu ce moment où des produits sont mis à votre disposition gratuitement mais vous n’osez pas jusqu’au moment où quelqu’un se décide à en prendre créant un réel appel d’air pour tout le monde.
Bref, le consommateur face à de grandes marques se demande pourquoi personne n’a critiqué avant, et ne veut pas être le vilain canard du groupe qui s’isole du reste du groupe.
Ceci est UN des facteurs d’explication mais certainement pas le seul. Ainsi, un des autres facteurs est aussi . Par exemple, un retard de la SCNF ne sera jamais l’objet d’un bad buzz.
Quand bien même un membre du groupe se lancerait, il ne serait pas suivi d’une masse. Tout simplement parce que tout le monde est habitué à ce fait et ajouter son grain de sel ne va rien y changer.
Ainsi, Ryanair est sans doute la marque la plus critiquée au monde: il ne se passe pas 3 mois sans qu’un scandale, un reportage, un commentaire négatif ne soit publiés et ce , sans jamais susciter de grosse crise. Tout le monde y est habitué, cela fait presque partie des valeurs de la marque et encore une fois, cela structure même leur positionnement: on est les moins chers, on fait tout pour.
Concernant Ryanair, on arrive même à un point critique où toute critique qui serait émise à son encontre se retournerait contre celle qui la produit. “Si vous n’êtes pas d’accord avec la politique de Ryanair, pourquoi prenez-vous Ryanair?” (Ryanair est la compagnie la plus détestée et pourtant celle qui est la plus fréquentée. )
2. C’est la deuxième étape qui est intéressante. C’est celle-ci qui est importante. C’est la théorie du Trigger, de la gâchette.
C’est un événement, un relais, un hasard qui va faire que le service ou le produit de l’entreprise va être critiquée de manière massive et visible.Cela peut être :
- Un commentaire négatif qui est partagé par tous et qui va briser l’effet témoin ( Le cas récent de la FNAC)
- Un élément émotionnel qui va susciter l’indignation/le scandale.( les enfants dans l’homme nu, ou l’enfant de 4 ans qui se fait refuser l’accès à un avion par Ryanair)
- Un moment de visibilité éphémère ou un moment où la preuve du dysfonctionnement du service ou du produit est à son paroxysme ( notre cas ici de la Bank of America, où le moment est parfait)
C’est ce trigger qui va débuter la crise. Pour preuve, je vais vous illustrer deux cas qui n’ont jamais suscité aucune crise alors que cela aurait pu être le cas :
Oui ca glace le sang, ca aurait pu faire un magnifiquement bad buzz. D’ailleurs, regardez:
Et là Pan, crise pour Kia. Même chose, pourquoi n’y a-t-il pas eu le même effet pour le Parisien?
Dans l’un , il y a un statut facilement commentable où l’effet de témoin est moins présent. Dans l’autre, c’est une publicité sur Facebook qui n’a pas un espace commentable. Il aurait dès lors fallu faire une critique sur un post isolé, ou faire un commentaire hors sujet sur une autre nouvelle: trop difficile et trop contraignant.
Quelle est donc la différence? Il n’y a pas eu le Trigger : la chose qui va faire transiter le tout en bad buzz. Pas convaincu ?
Se servir d’un événement grave pour faire sa publicité. Ca ne vous rappelle rien ?
American Apparel qui envoie un mail à ses clients de profiter de la tempête pour acheter sur leur site. Ici on va plus loin dans l’émotionnel, plus visible aussi que la pauvre page de Decathlon Cergy. Ici, le trigger a opéré alors que pour le cas de Décathlon, il n’y a rien eu; pire , il y a même eu 6 likes !
3. L’étape de la visibilité: cette visibilité peut être de deux ordres :
- Une visibilité par les utilisateurs: le Trigger agit là en fait comme une sorte de broken window 2.0 du nom de la théorie de la vitre brisée, théorie émise par Wilson selon laquelle si une vitre brisée d’un immeuble n’est pas réparée, toutes les autres fenêtres seront bientôt cassées car cela incite les autres. En clair : ” Si tout le monde le fait … “. Une fois cela passé, on a plus peur et on réagit par rapport à nos valeurs ou nos normes et l’on veut tout simplement prouvé au groupe que l’on partage ces dernières. ( Ex: le cas de Bank of America et beaucoup d’autres)
- Une visibilité directe par les média: là ici, le trigger est un évenement qui va être capté par le processus médiatique. C’est ensuite la visibilité offerte par les média qui lancera la crise. ( La crise Lassonde sur le nom d’Oasis)
Grâce à ce schéma, on peut aussi répondre à une question que j’ai vu sur Twitter: est-ce que des PME ont eu à subir un “bad buzz” ?
Le nombre de cas est énormément faible et pour cause: il n’y a presque pas cet effet témoin. ( Moins de témoin donc plus de chance que le commentaire soit fait)
Quand une PME a un dysfonctionnement qui déplaît, il y a donc généralement plus de chance qu’on le lui signale assez rapidement et sans hésitation.
Du coup, ce sentiment enfui qui se libère dès le Trigger n’est pas présent. En fait, chaque commentaire négatif est un trigger en soi.
Enfin, l’étape de la visibilité est réduite à sa plus simple expression. Moins de client, moins de gens concerné, donc pas d’effet fenêtre cassée.
Moins d’importance, donc moins de chance qu’un fait soit repris par la presse mais aussi moins de chance qu’une réaction d’après presse suscite une crise pour les mêmes raisons.
L’ensemble de ces raisons explique pourquoi un Bad buzz pour les PME est quelque chose de très rare si ce n’est une crise communicationnelle. Toutefois, je ne dis pas que cela n’existe pas, tout simplement parce que mon modèle d’observation académique est basé sur une des caractéristiques de la crise: sa visibilité. Or, la visibilité d’une crise de PME est tellement minime que je n’ai pas une veille assez puissante que pour capter cette visibilité minime.
Le schéma autour d’un case study
Pour rendre l’exercice moins ennuyant, on va prendre un cas ultra récent: le cas du petit Gregory ( et ce même s’il ne s’agit pas d’une crise fonctionnelle mais communicationnelle ) tout comme j’aurais pu prendre de multiples crises.
- Le mauvais fonctionnement de l’entreprise est fait: une publicité utilisant la photographie du petit Gregory (= fonctionnement de l’entreprise qui est mauvais vu qu’ils n’utilisent pas d’image libre de droit)
- Là c’est le moment intéressant. Un seul tweet est publié. Je l’ai personnellement vu vers 11h. Je n’étais pas certain à 100% qu’il s’agissait du petit Gregory. Je me suis dirigé vers la page Facebook où il n’y avait pas le moindre commentaire vers 13/14h. Pas de reprise dans ma veille par la suite. J’ai donc cru à un pétard mouillé.
- La visibilité est accordée par des journaux qui publient des articles. C’est là que la crise commence réellement et que les commentaires se lancent.
C’est donc intéressant ici de remarquer que l’important est le tweet qui joue le rôle de Trigger. Le fait d’utiliser cette photographie aurait très bien pu rester invisible, comme les cas exposés plus haut sans ce simple tweet.
Pour qu’une crise ait lieu, il faut qu’il y ait ce Trigger. Cette gâchette pour :
- Nestlé, c’est la vidéo Greenpeace qui suscite l’émotion.
- La Fnac, c’est l’internaute qui se plaint
- Kryptonite, c’est la vidéo sur Youtube
- Etc, etc.
Mais au final, la faute n’incombe pas au trigger.
- La crise Nestlé n’est pas la faute de Greenpeace, c’est la faute d’un fonctionnement de l’entreprise. (l’utilisation d’huile de palme)
- La Fnac, ce n’est pas la faute d’une internaute avide d’avoir un ordinateur gratos, c’est la faute du service après-vente déficient.
- La crise Montreux , ce n’est pas la faute à pas de chance qu’un seul twittos a su voir l’erreur, c’est la faute au directeur de communication qui n’est même pas capable de s’acheter un accès à une banque d’image pour ses stagiaires et qui va l’envoyer comme bouc émissaire.
- La crise Bank of America, ca n’est pas la faute d’un anti qui cherchait du tort à la banque, c’est la faute à un système absolument débile et automatisé.
- Etc.etc
La crise n’est pas à chercher auprès du Trigger: vous aurez beau effectué une cellule veille Big Data de 1000 personnes avec des algorithmes de la NASA , la crise vous tombera toujours dessus parce que la crise ne vient pas d’un signal faible que vous n’auriez pas capté, la crise ne vient pas d’un bad buzz qui vous est injustement tombé dessus, la crise 2012-2013 : c’est 90% de crise interne. La crise, elle vient du l’étape I, pas de l’étape II, la crise vient d’un événement qui provient de chez l’entreprise. Voir un Bad buzz comme un déferlement soudain de critiques , c’est se voiler la face.
Il faut voir le bad buzz comme une crise invisible qui couvait depuis longtemps dans l’entreprise et qui vient d’éclore. Un bad buzz, c’est une crise qui ne peut être qu’une opportunité.
Alors la première chose que vous ferez si un bad buzz devait vous tomber dessus, c’est de premièrement voir la crise qui était jusqu’alors invisible et la règler. La deuxième chose, c’est ouvrir le champagne, car félicitation, votre entreprise vient juste d’obtenir une opportunité d’évoluer avec son temps et ses consommateurs. La troisème et dernière chose sera de regarder les idiots regarder le bad buzz quand vous montrerez la crise.