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Licenciement d’une caissière Carrefour : le pouvoir des réseaux sociaux ? Pas tout à fait !

Carrefour vient de vivre une crise Cora bis, une crise où une entreprise nationale est obligé de rétropédaler suite à une crise sur les médias sociaux. Analyse de cas via Brandwatch.
I. Le compte-rendu
Petit événement local : une caissière handicapée à 80 % se fait licencier pour une erreur de 5,32 euros dans la caisse. Cela occasionne selon le directeur « un comportement frauduleux, pas en conformité avec les valeurs élémentaires de probité et d’honnêteté » ce qui occasionne un licenciement pour faute grave, et ce alors que le client qui n’a pas payé les 5,32 a depuis remboursé les marchandises.
L’histoire est alors racontée par le Parisien dont le premier partage sur Twitter est celui-ci :
https://t.co/sjp1xfJrDJ #carrefour #joptimism !!!! Vive les DRH nos nouveaux maîtres !
— Maurice (@MARADINM) January 27, 2016
À ce moment-là, aucune courbe de mention ne peut alerter Carrefour sur le fait qu’une crise est en train de se jouer :
Seulement le temps de 30 tweets sur le sujet que Libération reprend l’information sur son direct.
Une caissière de Carrefour Market licenciée pour une erreur de caisse de 5€ https://t.co/EEsXDYBniY via libe
— Ornella Mghn (@OrnellaMGHN) January 28, 2016
À ce moment, la crise se propage sur Facebook par article partagé, mais pas du tout sur Twitter ou même par les médias traditionnels. La compilation des mots autour de Carrefour ne trahit d’ailleurs rien à 10h30 :
Sur Twitter, les liens les plus partagés de la semaine sont par exemple :
Le 3e média francophone impliqué ne relayera l’affaire qu’à midi. Cela n’est que le 50e tweet posté sur l’affaire.
Une travailleuse handicapée caissière dans un Carrefour Market, licenciée pour un oubli de 5,02 euros. https://t.co/dBldTz4kNJ
— Senseï (@easy2fly) January 28, 2016
Le 51e est d’ailleurs un autre média : Le Monde
#Carrefour est obligé de titulariser une caissière handicapée… et la vire au premier accroc (5,02€ manquants).https://t.co/Hd0jNNqJoc
— Maître de conf' (@Maitre_de_conf) January 28, 2016
Et le 67e pour le JDD
Ben bravo #Carrefour..Une caissière licenciée pour avoir oublié de scanner un pack de bières et deux sacs plastiques https://t.co/B6QdUJozwo
— Vincent (@VinsRo) January 28, 2016
Et au 111e tweet :
Licenciement au #Carrefour de Mezieres. La chaîne me répond et réintègre l'employée. Bravo! pic.twitter.com/Ai6LGTexFC
— Vincy (@vincythomas) January 28, 2016
Ca n’est qu’à partir de ce moment que la majorité des tweets recensés vont apparaître. Pour bien comprendre, regardons la courbe des tweets obtenue cette fois grâce à Visibrain :
On voit parfaitement l’arrivée de l’article du Parisien, suivi de la reprise par les autres médias. L’histoire n’explose que vers 20 h sur Twitter. Par contre, sur Facebook, l’article du Parisien affichait plus de 12 500 partages à 9h.
II. Analyse
(En Bleu clair Twitter ; En Rouge : Sites d’actualité ; En Bleu foncé Facebook)
Voici la répartition des mentions autour de cette affaire. Comme d’habitude, la crise suit une courbe de Gauss qui descend crescendo. La chose intéressante est de remarquer le temps de l’actualité qui se concentre sur le premier jour avec quelques retardataires pour s’éteindre par la suite.
Sur l’ensemble des mentions autour de Carrefour de la semaine, la répartition des mots est cette fois très claire :
Tandis que le focus sur les mots nous montre que c’est typique d’un e propagation de type « Broadcast » puisque toutes les expressions proviennent de la presse, et non pas d’indignation.
Au niveau des pétitions, ce n’est pas énorme :
- Petition24.Net rassemble 4 signatures.
- Mesopinions.com rassemble 3086 signatures.
On est donc loin d’un soulèvement massif. Sur Twitter, de même si l’on en croit la cartographie effectuée depuis l’API (pas tout à fait exhaustif donc) :
En réalité, pour voir où cela explose, AUCUN logiciel de veille sur le marché ne peut l’identifier. Il faut aller voir directement dans les partages des différents articles. (Plus de 100)
En comptabilisant l’ensemble, on va au-delà des 30 000 partages. Le volume de lecture doit donc être encore plus conséquent.
III. Conclusion
Hormis le fait que l’on revive la même crise que Cora, et que j’avais déjà identifié la problématique de la délocalisation géographique des grandes enseignes comme motif de crise, le plus intéressant dans cette « crise » est l’illustration du problème de la gestion des données par les grandes entreprises et du dilemme du veilleur. Récapitulons.
La problématique de l’alerte
Tous les logiciels de veille possèdent une fonction « alerte » basée sur un algorithme plutôt simple à comprendre : si le volume d’occurrence sur la veille en cours augmente en un temps très court, le gestionnaire de la plateforme se voit alerter par mail. (ou par SMS pour certains) Cependant, pour les grandes marques, le volume est tellement conséquent que le contenu sensible se retrouve noyé dans une masse de données qui n’émerge pas forcément par rapport au reste. Fort heureusement, les gens ont très vite alpagué le compte Twitter de Carrefour ce qui donne l’alerte, mais que se passerait-il dans le cas où le community manager estime qu’il s’agit d’une crise faible et balaie cela temporairement d’un revers de la main ?
La problématique de Facebook
On le voit via les partages de l’article, le veilleur rate en réalité le vrai volume, le plus grand réseau social : Facebook. Le géant bleu qui se refuse pour l’instant à proposer aux marques une API digne de ce nom pour la veille est un des grands problèmes du veilleur. Une lueur d’espoir se profile cependant avec l’arrivée de Signal, et sa configuration qui ressemble fort à Tweetdeck. Est-ce que Signal va s’accompagner d’une API ? Fort peu probable, mais Signal constituera déjà une avancée que j’attends avec impatience.
Une victoire des réseaux sociaux ?
Oui et non. En réalité, si la cartographie sur Twitter montre bien la façon dont Carrefour a été mis sous pression sous forme de Support Network (voir la typologie des conversations ici), la pression vient surtout des médias qui ont presque tous relayé cette histoire et entraîné à chaque fois de nouveaux partages. De plus, le volume d’occurrence reste inférieur à d’autres cas observés et Carrefour a su réagir avant que la propagation ne soit plus conséquente. Rapide ? L’enseigne a quand même plus de 11 heures à réagir et à sortir du silence. Cela reste honorable compte tenu de l’ensemble des démarches qui ont dû être effectuées.
Ce cas aura une utilité essentielle : montrer que les médias sont plus que jamais un levier pour déclencher une crise d’opinion.