Ne vogue-t-on pas trop vers une starification à outrance du communicant ?

J’attendais avec impatience deux choses en ce mois de mai : la naissance ma fille et le documentaire de France 5 « jeux d’influences ». Finalement, les deux sont arrivés le même jour et j’ai donc du faire l’impasse sur le documentaire. Celui-ci n’étant pas disponible en VOD depuis la France, il m’a été difficile de le regarder. C’est désormais chose faite (uniquement pour le premier épisode, je n’ai pas encore trouvé le deuxième) et on y voit la parfaite illustration d’une tendance actuelle: la starification du communicant.

I. Introduction

La starification du communicant, c’est le fait de se mettre en scène sciemment de façon à acquérir une visibilité afin d’obtenir de la reconnaissance et du respect.

On l’observe de plus en plus depuis que les communicants, ces hommes de l’ombre, sont passés de celle-ci à une pseudo-lumière avec l’arrivée des blogs personnels et puis des réseaux sociaux ouverts comme Twitter.

Le phénomène a pris une plus grande ampleur avec l’apparition de concept tel que l’e-réputation. Non seulement il ne fallait pas que des traces négatives apparaissent sur vous, mais il fallait également que vous existiez sur le Web. Car si dans la vie réelle, il suffit que vous existiez pour prouver votre existence ; sur les réseaux sociaux, si vous ne faites pas acte de présence, vous êtes le néant absolu et les recruteurs n’aiment pas le néant. Dès lors, le communicant ne communiquait plus uniquement pour l’organisme qui l’emploie, mais également pour lui-même : il doit se mettre en scène.

Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à un point où tout le monde dispose d’un compte Twitter avec plus ou moins le même contenu et les mêmes descriptions. (« Né avec un smartphone dans les mains, j’ai fait des réseaux sociaux ma passion. Suivez-moi pour toute l’actualité »)

Dès lors, est-ce que le communicant n’est-il pas devenu esclave de cette mise en scène de soi ? Ne néglige-t-il pas son employeur au profit de sa propre personne ?

II. Analyse

Le community manager comme pionnier

Celui qui a le plus participé à cette starification progressive du communicant est le community manager. Cowboy des temps modernes avec pour arme son smartphone, prêtre des réseaux sociaux pour lesquels il est le traducteur biblique d’évangiles dont la langue n’était que peu traduisible par les décideurs de l’époque, le nouveau métier de community manager a fait office de véritable star .

Il a été désigné comme le pont entre l’entreprise et son public, mais surtout comme évangélisateur de la nouvelle dimension « sociale » des marques qui auraient oublié tout leur instinct de prédateur capitaliste. En somme, une sorte de social-washing succédant au green-washing devenu trop réglementé. Cumulant tous les emplois de communicant:(porte-parole, journaliste, business analyst, marketer, SAV, psychologue, humoriste avec option gestionnaire de crise dans ses RTT), il pouvait provenir de n’importe quelle formation. Le Graal de l’époque étant d’avoir un community manager stagiaire pour son prix défiant toute concurrence et avec l’avantage d’avoir une option cafetière en prime.

Dès lors, tout le monde avec un smartphone s’est pris lui-même pour un community manager. Après tout, pas de diplôme universitaire, aucun décideur qui peut vous dire que vous faîtes de la merde dans la mesure où il ne comprend même pas ce que vous faites, une responsabilité et pouvoir trainer sur Facebook et Twitter toute la journée: le job avait tout du paradis.

Les community managers en herbe, les community manager en fonction, les stagiaires community manager, les étudiants aspirant à être community manager : tout cela faisait du monde et du monde hyper connecté. Dès lors, le community manager est devenu l’un des rares métiers où des médias spécialisés sont légions.  Il possède son journal, son blog attitré, ainsi que de multiples sources d’information (Veille digitale, Blog du modérateur, etc.)  auxquels il faut ajouter tous les blogs de communicants à qui on a dit qu’il fallait développer leur e-réputation, mais aussi tous les blogs d’outils à leur disposition. C’est d’ailleurs le seul métier au monde où des blogs sont créés afin de ne parler que des outils à sa disposition. Imaginez des blogs qui parleraient de compresses, de scalpels et autres joyeuseries ! Le vice va jusqu’au fait que les community manager possèdent leur propre Hall of famé.  (Un peu comme si des chirurgiens foutaient un tumblr de leurs meilleures cicatrices)

Du coup, les contenus à propos du métier sont devenus hyper concurrentiels et nous en sommes à un point où presque tout a été dit sur tout. Des « combien coûte un community manager ? », « A quoi sert un community manager ? », à « Quel avenir pour le community management ? » ont ainsi été servi en plusieurs exemplaires . Tellement qu’il est devenu aujourd’hui presque impossible de tenir un blog sur le sujet sans être redondant.

Dès lors, l’attention a été portée vers l’actualité journalière, où l’on peut ronger un même os durant des mois. Ainsi, on a mangé du « le reach de Facebook est descendu », « Twitter va mourir » et « Google + est mort les gars » durant de longues semaines, chaque « analyste » y allant de sa propre analyse. (J’ai moi-même mangé de ce pain là)

Les dérives du community manager

Dès lors, comment pour un communicant avoir son propre contenu innovant ? Tout simplement en regardant les autres comptes pour y partager l’insolite. Très vite on a migré vers le top insolite du community manager allant de la chaîne de réponse entre marques, en passant par les LOL du jour jusqu’aux « bad buzz ».

En ce sens, il y a eu pour moi un véritable déclic avec ce que j’avais nommé le prophète du rire dans une précédente analyse:

« Elle, dont le prophète apparut en cette journée du 10 janvier 2012 où ses apôtres l’ont découvert: 

                                               

Résistant au torrent de gobelins venant attaquer la page Facebook de Bouygues, Tanguy, armé de son seul humour fit face à ces manants, et ce, alors que SFR avait déjà fui le combat et que les assaillants utilisaient des espions par une technique désormais appelée la Bertaudière. »

D’une stratégie très maligne de Tanguy, on en est arrivé à sacraliser le rire comme outil de communication, pullulant même les présentations comme conseil en cas de crise. Le but a été alors de lâcher les meilleures vannes dans le but d’être dans le hall du saint des saints humoriste community manager. Être la star dont tout le monde parle. L’argument « nous avons un tone of voice décalé » est alors devenu l’accréditation presse de toutes les dérives. D’ailleurs, en étant repris par ses pairs comme bon exemple, on est arrivé à un point où les étudiants en community management ont incorporé l’utilisation du rire dans les bonnes pratiques à montrer dans toutes les écoles. A un point qu’on en oublie les fondamentaux. En communication comme en chimie : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Il y a donc des règles à respecter qui n’ont pas changé subitement avec l’arrivée d’un pouce levé ou d’un oiseau bleu qui fait cui-cui. Le meilleur exemple de cet oubli des règles est le community manager de Gaumont Pathé. Pourtant porté aux nues pour son acte de résistance à faire pâlir un survivant de la deuxième guerre mondiale, celui-ci est coutumier pour s’en prendre à des clients potentiels lorsque les communautés de fans de Justin Bieber ou One Direction l’assomment de questions. Pour preuve:

Vous avez quelqu’un avec 3000 followers qui représentent votre cœur de cible (pour rappel, les moins de 25 ans constituent la tranche d’âge la plus consommatrice au cinéma selon Mediamétrie) et vous le prenez de haut en lui disant d’aller réviser ses mathématiques.

Tandis que critiquer l’orthographe d’autrui quand on peut observer ceci:

GaumontOrthographe

peut prêter à sourire. Plutôt que de se donner en spectacle, un article de blog reprenant l’ensemble des éléments et des questions aurait été plus productif et cristalliserait toutes les réactions en un même lieu. D’ailleurs ici l’humour n’est pas utilisé dans le but d’éteindre le feu, mais pour se donner en spectacle par rapport aux autres community manager.

Ce besoin de starification est aussi parfois bien plus grave :

Un client mécontent se plaint d’un problème de date de naissance dans le but d’être remboursé. Plutôt que de fournir une réponse normale, le community manager devient humoriste en abusant de smiley à outrance tout en brisant l’aspect privé et confiné du message privé de Facebook en s’empressant d’aller le publier sur Twitter, fier de son acte, et en n’oubliant surtout pas d’en faire part au CM Hall of Fame pour être acclamé.

Manifestement, la page Facebook est elle aussi remplie de confidence:

Mais rassurez-vous, cela va avec l’esprit de la marque:

Donc, sachez que si vous discutez avec Price Minister sur Facebook, tout est susceptible d’être moqué par la suite sur Twitter et Facebook. C’est ça l’esprit de service client de la marque Price Minister. Un peu comme si dans un magasin, vous alliez poser une question à la vendeuse, et que celle-ci vous stoppe dans l’attente de rassembler toutes les personnes aux alentours avant de vous demander de poser la question à nouveau tant vous avez l’air ridicule.

D’autres community manager considèrent que leur marque est un réceptacle de leur humour. Suite à l’Eurovision, le community manager de Mediamarkt publie une Pub-blagounette pour vendre un rasoir:

La réponse du community manager est pour le moins insolite:

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Le community manager ne fait donc plus aucune différence entre la petite blague du lundi matin entre collègues et le fait de communiquer au nom d’une marque. Ici encore:

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Ce tone of voice, à l’origine utilisé pour différencier la marque, est bientôt le même pour toutes les marques:

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Certains diront qu’il n’y a aucun désir de starification mais uniquement d’humour. Il ne faudrait en tout cas  pas perdre de vue que:

  • Le Community manager lorsqu’il est dans une situation de SAV a pour mission d’aider le client du mieux possible sans pour autant se payer sa tête. Ce sont les clients qui paient le salaire de celui-ci et lorsqu’il a sa casquette de représentant de service client, il ne doit pas vouloir mettre une casquette de publicitaire pour se servir d’une doléance comme  d’un média, et ceci d’autant plus lorsque la visibilité profite plus à lui-même qu’à l’entreprise qui l’emploie.
  • Le community manager ne doit en aucun cas sortir de son champs une communication personnelle avec un client ou un prospect pour « le Lulz ».
  • Le community manager doit communiquer au nom de la marque et non pas au gré de son humour ou de ses envies.

L’autodestruction des spin doctors

Mais s’il faut revenir au départ de la réflexion, c’est concernant les communicants de crise que le constat est le plus implacable. Comment est-ce possible que nous ayons accès à toutes ces informations ?

Nous apprenons par le communicant lui-même dans une interview en tête à tête que le travail du dimanche pour les magasins de bricolage était une chimère savamment orchestrée par un homme de l’ombre qui susurre à l’oreille des employés ? Toute la stratégie est étalée au grand jour comme une grande fierté qu’il était impossible de cacher tant le génie à l’œuvre rejaillit.

Nous apprenons également par le communicant lui-même que les radars n’ont pas été interdits, car de piètres journalistes ont été manipulé. Pire, nous apprenons que Richard Gasquet, contrairement à la poudre qui a pu être inhalée, n’est pas si blanc que cela dans l’affaire et que chaque interview n’est pas du tout humaine, mais un condensé préparé par un communicant. Est-ce que le communicant en charge est au courant que Richard Gasquet est encore de ce monde et qu’il est même encore en activité ?

Le summum étant atteint lorsqu’on nous sort toute l’affaire Kerviel décryptée par les deux camps, et ceci alors qu’une semaine après la diffusion du reportage, on nous sert une sortie médiatique qui tourne au ridicule lorsqu’on sait que tout est cousu de fil blanc.  (Si tant est qu’on ne l’avait pas découvert par l’appel au président de la République autour d’un slogan pas cher: « l’ennemi de la finance »)

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Comment voulez-vous faire passer Kerviel pour une victime humaine face à un système tout entier lorsque l’on voit l’attroupement de journalistes attirés pour l’événement, que les slogans sonnent faux et que l’on vient de voir un reportage qui nous montre comment ils ont orchestré sa sortie du tribunal ainsi que toute sa défense ?

Le simple fait de savoir qu’il y a un communicant à l’œuvre dans l’ombre (si tant est que l’on puisse appeler cela « ombre » tant il cherche à porter la lumière sur lui) fait que chaques paroles, chaques actes ne seront plus décryptés comme un geste humain, mais comme une posture de communication, une insulte à la crédulité des gens où le public pense qu’on cherche à le duper.

Comment ces communicants peuvent-ils être encore sollicités alors que vous ne pouvez pas être certain que l’ensemble de vos actions ne se trouvera pas un an après dans la presse, étalé à la face de tous au nom d’une visibilité pour le spin doctor en charge ? N’y a-t-il pas une forme d’éthique pour ce genre de cas ?

Conclusion

Face à cette montée de la starification, je pense qu’il est nécessaire de revenir aux fondamentaux. Qu’est-ce que la communication ? Le fait de faire passer un message d’un émetteur à un récepteur.

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Dans cette relation, le communicant n’est ni un point A, ni un point B: il n’est donc pas visible, et il ne doit pas l’être. Le communicant est quelque part dans ce tiret qui joint les deux points, et  il s’assure que la relation entre les deux se passe de la meilleure façon possible ; il essaie que les messages, les actions d’une entreprise soient compris par ses publics ; il n’est pas non plus un magicien qui ferait changer un point A en un point C .(comme le fait de vouloir transformer Kerviel en repenti excusé par le pape)

Le constat est encore plus de mise pour le community manager. Il faut que sa personne et la marque fusionne pour que l’on sente que c’est la marque qui communique et non pas un geek payé pour rester 12h par jour afin de répondre aux sollicitations. Cette fusion ne peut passer que par l’abandon de la stratégie du « LOL » pour les marques qui n’ont pas cela clairement dans leur ADN. (Oasis , Carambar, etc.)

  • Si j’ai choisi le chemin de la communication, c’est parce que j’aime l’idée d’être un connecteur de relations.
  • Si j’ai choisi le chemin des réseaux sociaux, c’est parce que j’aime le fait que l’on puisse enfin entendre et surtout écouter comment est perçu par le récepteur du message que j’ai conçu.

Et en tout cas, je n’ai certainement pas choisi ce chemin pour être une pom pom girl qui bouge dans tous les sens dans le but d’être regardé par tous.

 

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COMMENTS

  • <cite class="fn">Fabrice Berrahil</cite>

    clap clap clap

    au fait Nicolas, si tu veux, j’ai le 2nd volet (ainsi que le 1er) du documentaire « jeux d’influence » en fichier .mp4 si ça te dit (même si je n’ai pas encore eu le temps de le regarder).

  • <cite class="fn">Leslie</cite>

    Super article qui montre enfin l’envers du décor. Etant jeune diplômée en Relations Publiques cela me fait penser à la mutation que « subit » le secteur de la « communication » et de ses métiers.

    Ps : je suis également intéressée par le documentaire « jeux d’influence » avez-vous un lien ?

  • <cite class="fn">Antoine Dupin</cite>

    Tout a été crée par les communicants c’est normal. Le terme Web 2.0 est une hérésie, les médias sociaux existaient depuis des années, il n’y a eu aucune révolution, simplement une démocratisation d’Internet. Et avec l’arrivée de gens, des usages sont devenus populaires. Et les communicants ont inventé le Web 2.0 pour mieux vendre et ses déclinaisons pour relancer la machine (j’adore le Web Squared). Tout n’est finalement qu’une vaste fumisterie pour le wouha effect. Regarde le terme viralité, ou viralisation utilisé à outrance. C’est pour reprendre l’image de la maladie, sauf qu’en français ça se dit pandémie. Mais « je vais faire en sorte que vos contenus soient pandémiques » c’est moche. Alors on réinvente des termes et ça fait mieux. Le truc, c’est que face à cette fantasmagorie, où le communicant encense le communicant (une bonne sodomie au pays des bisounours) avec des mots sublimes, des concepts alléchants et des tonnes d’articles apologistes, il y a également les journalistes qui prennent possessions des lieux car ils s’intéressent à des phénomènes de société. Résultat, pour parler des médias sociaux, ils interrogent des … communicants. Dans les années 90, lorsque les journalistes voulaient comprendre l’impact de la télévision dans les ménages, ils n’appelaient pas Jacques Séguéla … car le discours est faussé. Or, dans ce cas de figure, c’est presque normal la starification car ceux qui sont encensés font parties de ceux qui glorifient. Résultat, un nombre incalculable de conneries. Les journalistes se fourvoient sur Twitter qui est une plateforme d’exception. Très peu d’actifs finalement mais des actifs très visibles qui donnent l’illusion … Tout n’est que fumisterie.

  • <cite class="fn">Haieb</cite>

    Tout est dit. Je souscris pleinement à ta conclusion. Le problème c’est que la prise de conscience n’est pas encore là. On est à l’ère des CM stars qui pensent exclusivement à leur personal branding. Pour moi, il y a 2 types de CM : ceux qui servent leur communauté et ceux qui s’en servent. Aujourd’hui, on assiste clairement au triomphe des deuxièmes…

  • <cite class="fn">passepareici</cite>

    Les entreprises ont une grande part de responsabilité. Ce n’est pas que personne ne comprenait rien à ce que faisait le CM (c’est quand même pas compliqué). Elles n’en n’ont pas compris l’importance (du moins au début). Elles ont donc embauché des jeunes (stagiaires ?) sans formation adapté, sans expérience qui ne connaissaient rien au monde de l’entreprise et elles leurs on donné un pouvoir énorme.

  • <cite class="fn">Rayan Kh</cite>

    Les coffeeshops Amsterdam sont les lieux où l’on peut acheter et consommer les dérivés issus du cannabis et de la marijuana; ils sont simplement tolérés, et régis par des règles strictes.

    joints amsterdam

    http://coffeeshopdekroon.com/

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